Quatrième de couverture :Il y a une quinzaine d’années, l’envie d’écrire un texte plus long qu’un poème m’est venue, sans pour autant vouloir me lancer dans le roman... tout naturellement, je me suis mise à écrire des nouvelles, qui est vite devenu un genre que j’affectionne particulièrement et dans lequel je trouve un grand plaisir d’écriture, même si je reste poétesse avant tout.
Dans ces Ecrits de la Lune, j’ai glissé huit nouvelles, dont les deux premières ont remporté le Premier Prix des Troubadours, au Concours de la Belle Aude Poétique de Carcassonne.
Bien qu’en ayant écrites d’autres, j’ai sélectionné celles-ci car elles ont un point commun... les “petits héros” de toutes ces histoires sont des enfants.
Extrait :La marche de BrahimDes jours et des jours qu’il marche, Brahim !
Dans un brouillard flou, il voit encore la maison, la rue ensoleillée, le marchand ambulant qui passe en criant, le bruit des petites clochettes accrochées à sa carriole, les enfants qui courent derrière...
Il est si petit, Brahim !
Et il marche, il marche... pour seul horizon, la jupe de Maman, bleu sale après tous ces jours, qui se balance lentement. Il marche parce qu’elle marche... sans se plaindre... porté par la douce voix : «Encore quelques pas, et tu pourras te reposer... la frontière, le camp, un lit pour toi, un repas chaud... encore quelques pas, Brahim, sois courageux, on arrive, la frontière est là, tout près...».
Et il continue, Brahim, bercé par la voix de Maman... Et il marche, jour après jour... Il ne sent plus ses pieds, il ne sent plus ses jambes, il ne sent plus son corps... il ne voit presque plus la maison... la rue est désertée, plus d’enfants, plus de cris, plus de marchand.
- La frontière ! La frontière ! crie quelqu’un dans la colonne.
Le militaire, d’un regard dédaigneux, leur fait signe de s’éloigner... rien ne peut l’attendrir... ni la vue des enfants qui pleurent, épuisés, ni le regard suppliant des femmes, ni l’argent que les hommes sortent de leur portefeuille. Il faut repartir, chercher une autre frontière, trouver un garde plus sensible, ou plus cupide... et marcher, marcher encore...
Quelques heures de repos à même le sol... le corps meurtri, les pieds en sang, et la douleur lancinante qui jamais ne s’arrête... Maman donne un petit biscuit sec à Brahim... il le mâchouille lentement, enroulé dans une vieille couverture à l’odeur de moisi... il ferme les yeux... et le marchand ambulant revient. C’est bien lui, sa carriole colorée, sa voix criarde, son sourire jovial... et toutes ces pâtisseries dégoulinantes d’huile... et ces morceaux de pastèque... le jus sirupeux qui coule dans la gorge... si frais... si doux... si bon...
Brahim sort de ses songes sucrés, secoué doucement par Maman. Il faut reprendre la route, déjà. Maman refait délicatement les pansements de ses pieds... les bandes sont collées, et Brahim pleure doucement... il ne veut pas repartir. Maman le rassure en caressant ses cheveux sales. Papa a trouvé quelqu’un qui accepte de les prendre dans sa camionnette jusqu’à un poste frontière... aujourd’hui, on n’aura pas besoin de marcher !
Brahim se blottit contre sa mère. Des gens entassés, des enfants, des bébés affamés qui pleurent accrochés à un sein sans lait, des hommes, des femmes, des vieux... le même regard partout, la même saleté, la même peur, le même désespoir... À pied, en voiture, en charrette... des fantômes... une colonne de fantômes jetés sur les chemins de l’exil.
Encore un refus... encore une nuit... et la route encore demain... une fuite sans fin...
Brahim ne parle plus, ne se souvient plus... tout s’efface... Accroché à la robe sans couleur de Maman, il réunit les dernières forces de son petit corps torturé pour faire un pas, puis un autre... puis un autre... Brahim s’écroule. Papa, épuisé par les paquets qu’il porte depuis des jours et des jours, les siens, ceux de Maman qui ne pouvait plus, attache Brahim sur son dos. Maman passe la main sur son front... Brahim gémit faiblement, et s’endort bercé par le balancement irrégulier de la démarche hésitante de Papa.
Le militaire regarde la colonne qui s’avance vers lui... pitoyable... il les laisse passer.
Papa dépose délicatement Brahim sur le matelas : «On y est mon garçon, tout va bien aller maintenant, tu verras ! Tu vas pouvoir te reposer, reprendre des forces...». L’enfant ouvre lentement les yeux... regarde Papa qui sourit... sent la chaleur de la main de Maman sur la sienne. Il s’endort.
L’aube pointe à l’horizon... Premier jour d’une nouvelle vie... Brahim est mort dans la nuit.
(d'autres extraits dans La Petite Librairie :
http://lapetitelibrairie.e-monsite.com) Véronique AudelonMa page d'auteur dans La Petite LibrairieAcheter mes livres